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06/04/2016

Sándor Márai : Le Miracle de San Gennaro

sándor máraiSándor Márai (de son vrai nom Sándor Grosschmied de Mára) né en 1900 à Kassa qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui en Slovaquie) et mort en 1989 à San Diego aux États-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois. La vie de l’écrivain fut itinérante, européenne et quasi-vagabonde dans sa jeunesse pour fuir la Terreur Blanche de 1919, hongroise pendant vingt ans, américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Márai de l’exil. Au-delà des circonstances politiques, le voyage est un mode d’être pour Sándor Márai. De plus en plus solitaire et difficile matériellement, mais fertile sur le plan littéraire, l’exil mènera Márai de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Son roman Le Miracle de San Gennaro sera d’abord publié en allemand en 1957, puis en hongrois en 1965.

Le roman se déroule à Naples en 1949. Naples où tous les ans au mois de janvier, le sang de San Gennaro (Saint Janvier) précieusement conservé dans une église, se liquéfie miraculeusement. Un couple d’étrangers s’est installé au milieu du petit peuple du Pausilippe, cette montagne près de la ville. Un jour l’homme est retrouvé mort au pied d’une falaise. Accident, crime ou suicide ?

Ne laissez pas votre imagination galoper, il ne s’agit pas du tout d’un polar même si ce roman baigne dans un certain mystère car tout du long il sera question de révéler la personnalité de cet homme – ni lui, ni la femme ne sont nommés – dont la rumeur publique prétend qu’il voulait sauver le monde tel un nouveau messie.

Nonobstant le découpage du roman voulu par l’écrivain, le bouquin est en deux parties. La première, quasiment un reportage in vivo, nous montre la vie des habitants du quartier au travers de portraits pittoresques et sympathiques, le tripier, le marchand de cacahuètes, le maçon mais aussi le baron, l’amiral ou l’homme amputé des orteils. Tous ont un point commun, la pauvreté et cette misère qui semble mieux se vivre au soleil, favorisant l’optimisme, « De toute évidence, la vie est belle. Elle n’est pas facile, mais, tout compte fait, elle est magnifique. » Chacun attend, sans trop y croire, une sorte de miracle qui le sortira de sa situation. Cette partie – qui n’est pas du tout inintéressante - m’a paru un peu longue car je ne voyais pas où tout cela nous menait et d’ailleurs, je m’interroge encore. A moins que l’auteur n’ait voulu profiter de l’occasion pour consigner des souvenirs personnels de son séjour dans la ville quelques années avant d’émigrer aux Etats-Unis ?

La seconde partie qui débute après la mort de l’étranger va s’avérer beaucoup plus riche en perspectives intellectuelles. Le portrait de l’inconnu est dressé par trois témoins, un policier qui lui a longuement parlé et avoue avoir été subjugué par son aura, un prêtre et la femme qui l’accompagna dans l’exil et jusqu’à sa mort. Le roman prend alors une tournure grandiose car il permet à Sándor Márai d’aborder de multiples sujets, politique (les dictatures fascistes et communistes), philosophique (la conscience individuelle) et religieux (la rédemption), le tout étant englobé dans le thème principal de cet ouvrage, à savoir le douloureux problème de l’exil et de l’émigration, ce qui nous vaut des pages d’une brûlante actualité et ce constat – une nouvelle fois amer – rien ne changera donc jamais ?     

Un très bon roman, peut-être un peu long au début (d’accord je chipote) mais largement compensé par la qualité de la seconde partie.

 

« Apparemment, on ne naît pas impunément en Europe. Malgré les champs de bataille et les camps de concentration, malgré le rideau de fer et les polices secrètes, la Gestapo hier, la Guépéou aujourd’hui et Dieu sait quoi demain… malgré les infamies, la suspicion, l’indifférence des Etats petits et grands, le comportement aberrant des autorités, les bûcherons lituaniens et les journaliers hongrois blêmissaient sur le pont du navire, parce qu’ils devaient quitter ce continent où on leur avait tout pris. Naître ici, semble-t-il, est un privilège. Et pourtant, que signifie le fait d’être européen ? Il m’a dit un jour qu’il était bien difficile de répondre à cette question. S’agit-il simplement d’être un natif de ce continent ?... Nombreux sont ceux qui se mentent à eux-mêmes. Selon lui, être Européen, c’est partager une complicité. Mais il ne m’a pas précisé quelle complicité… Et il est mort sans me l’avoir jamais dit. »

 

 

sándor máraiSándor Márai  Le Miracle de San Gennaro  Albin Michel  - 381 pages –

Traduit du hongrois par Georges Kassai et Zéno Bianu

 

07:39 Publié dans Etrangers | Tags : sándor márai | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook |